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Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/149

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À peine ce soupçon eut-il pénétré dans l’âme du cardinal, que la terreur de voir sa puissance mourir avant lui ranima ses forces, et qu’il se fit porter sur une chaise-longue en disant que le lit l’affaiblissait, et qu’il voulait, en dépit de l’ordre des médecins, se rendre le lendemain chez le roi, et assister au conseil.

Le danger était pressant ; il fallut se concerter, et tous ceux que leurs intérêts attachaient au crédit du cardinal furent invités à se rendre chez lui le soir même : ainsi, pendant que le roi passait des heures fort douces au milieu d’un cercle d’amis spirituels et gais, chez madame de la Tournelle, une assemblée d’ennemis discutaient secrètement sur les plus sûrs moyens de la perdre.

Mais cette inimitié et tout ce qui pouvait s’en suivre, madame de la Tournelle l’oubliait en voyant le roi affable pour toutes les personnes qu’elle avait réunies, et surtout si heureux d’être chez elle.

Il y a dans la contrainte volontaire autant de charme parfois qu’il y a d’ennui à subir celle qu’on nous impose. Ce ton soumis, ces déférences, ce respect commandés par le rang et l’usage pour un homme qui, la veille, était à ses pieds, ajoutait tout le piquant du romanesque à une situation déjà trop séduisante ; madame de la Tournelle en jouissait avec ivresse, car ce bonheur ne la faisait point rougir, il n’était pas le prix d’une faiblesse coupable, et tout lui donnait l’espoir que, satisfait de régner sur son cœur, le roi se plairait lui-même à la conserver pure.

Un salon, quel qu’en soit le personnage important, est toujours sous l’influence immédiate de la maîtresse de la maison ; c’est un orchestre dont elle fixe le diapason, et distribue à volonté les parties. Les solos ne durent qu’autant qu’il lui plaît ; et au moindre signe de sa part s’apaise le tutti le plus bruyant ; son art consiste à faire jouer souvent les instruments les plus agréables à entendre, et à mettre en rapport ceux qui s’accordent le mieux. Cet art, madame de la Tournelle le possédait à un haut degré par l’habitude qu’elle avait eue de faire les honneurs du salon de la duchesse de Mazarin, sa tante.

C’était la première fois que Louis XV entendait vraiment causer ; car les récits scandaleux, les plaisanteries licencieuses des soupers de Choisy, ou les discours insignifiants