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Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/18

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— Sans doute, répondit la duchesse, car ce petit bourgeois ne rend point d’édits, d’ordonnances au sortir de ses orgies, et, sa femme ou sa mère exceptée, personne n’a rien à craindre des suites de ses débauches.

— Ah ! pour les édits, les ordonnances, ce n’est pas au roi qu’il faut s’en prendre : le cardinal y met bon ordre.

— C’est un tort de plus ; n’est-il pas assez grand pour régner par lui-même, et devrait-il se laisser ainsi gouverner par…

— Ah ! madame la duchesse de Mazarin, interrompit M. de Richelieu en appuyant sur le nom, a-t-elle le droit de médire des cardinaux-rois ?

— Quand les cardinaux sont des hommes d’État, qu’ils savent conduire un royaume, je trouve fort bon qu’ils le gouvernent ; mais lorsque les armées, les finances, tout va mal, je veux que le roi s’en inquiète.

— Il s’en inquiéterait certainement et serait fort capable de réparer beaucoup de maux, s’il savait seulement qu’ils existent ; mais son vieux gouverneur se garde bien de lui en dire un mot. Il sait trop qu’un prince instruit est perdu pour son précepteur, et l’on ne saurait le blâmer de ce que tant d’autres feraient à sa place. D’ailleurs, s’il faut l’avouer, je n’ai jamais vu ces beaux sentiments romains réussir dans nos cours modernes. Donner de sages avis, comme dit le spirituel amant de madame de Longueville, c’est se donner bien de la peine pour déplaire, oui, madame, pour déplaire, ajouta M. de Richelieu envoyant madame de la Tournelle lever ses yeux au ciel en signe de pitié ; vous êtes bien belle, bien aimable, et vous avez tout ce qu’il faut pour croire ce revers impossible ; eh bien, à pareille condition, vous auriez le malheur de déplaire.

— J’aurais du moins le courage de m’y exposer, répondit madame de la Tournelle, ne fût-ce que pour éviter une imitation vulgaire ; et je ne conçois pas, monsieur le duc, qu’avec votre esprit et la faveur dont vous jouissez auprès du roi, vous vous condamniez volontairement au rôle de simple courtisan. C’est donner bien mauvaise idée de soi que de se faire flatteur quand on pourrait être beaucoup mieux.

— Eh ! madame, rendez-moi plus de justice ; croyez que, si j’avais le choix d’un meilleur rôle, je le prendrais ; mais Sully lui-même renaîtrait pour conseiller le petit-fils de son