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Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/194

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d’y rien changer ; aussi lorsqu’on ouvrit les portes de la salle à manger, le duc d’Ayen offrit sa main à madame de la Tournelle, pendant que le roi conduisait la princesse à table où elle devait être assise à sa droite, et madame de la Tournelle à sa gauche.

C’était la première fois qu’une semblable faveur s’obtenait à ce prix ; on crut que le roi, habile à dissimuler, cachait sa reconnaissance sous une froideur feinte ; mais il y avait tant d’amertume dans son sourire, tant d’ironie dans sa politesse, qu’on devinait à travers les généralités, les mots les plus insignifiants qu’il disait, le ressentiment d’un cœur profondément blessé.

Cependant, il adressa plusieurs fois la parole à madame de la Tournelle, lui offrit de différentes choses qui se trouvaient sur la table ; mais elle n’accepta rien, l’oppression qu’elle éprouvait ne lui permettant pas de manger. Pendant ce temps la duchesse de Chevreuse, M. de Coigny et le marquis de Jumilhac, usant de la permission de causer sans être obligés d’attendre les questions du roi pour oser parler, débitaient des histoires amusantes, souvent interrompues par de bonnes plaisanteries ou des réflexions malignes.

— En entendant raconter de telles aventures, dit la duchesse de Chevreuse, je regrette doublement que le duc de Richelieu soit retenu à Versailles ; je suis sûre qu’il en sait, sur tout cela, encore plus que nous. Quelle manie à lui de prendre les rôles d’oncle de si bonne heure ! il joue encore si bien ceux de jeune premier !

— Soyez tranquille, madame, il y reviendra.

— Cela n’est peut-être pas fort à souhaiter, dit la duchesse d’Antin, ses amours ont déjà fait assez de ravages, vraiment.

— Il en faut convenir, dit madame de Jumilhac, mais aussi qu’il est parfait en amitié ! c’est une chose remarquable qu’on paisse allier tant de légèreté d’esprit à tant de qualités solides ; il y a deux ou trois hommes en lui.

— Fort heureusement l’homme aimable domine, dit madame de Chevreuse, c’est une vérité que ses tendres ennemies elles-mêmes ne contestent pas, et puis on cause si facilement avec lui ; point de restrictions, point de vaine hypocrisie ; il sait tout ce qu’on pense, tout ce qu’on fait, tout ce qu’on veut faire ; c’est comme un miroir qui réflé-