J’avoue que la conduite de madame de la Tournelle me confond ; mettre toutes les prudes contre elle, et n’avoir point les avantages de sa position apparente, c’est déplorable.
Un fait certain, c’est que le voyage a été uniquement arrangé pour madame de la Tournelle ; qu’on a eu beaucoup de peine à la décider à en être, et cependant le roi était de bien mauvaise humeur hier matin ; j’ai cru qu’il se romprait le col dix fois en galopant comme un fou à travers les taillis, en sautant des fossés, en faisant caracoler son cheval d’une manière effrayante. Ah ! la vie ne l’amusait pas hier, je vous l’assure, il avait trop envie de la risquer.
Nous sommes tous ainsi quand nos amours vont mal.
Le croyez-vous fort amoureux ? moi j’en doute ; il prend goût aux affaires ; d’Àrgenson prétend qu’on ne peut plus lui rien faire signer de confiance ; qu’il passe des heures à lire la correspondance, à s’instruire de beaucoup de choses auxquelles il n’a jamais pensé, tout cela ne s’accorde pas avec les langueurs de l’amour.
Erreur : il est sous l’influence d’une ambition féminine qui lui commande la gloire ; et le désir de plaire triomphe seul de sa paresse. Ces maudites femmes ont un empire sur nous !… ce n’est pas que nous autres, gens d’épée, nous ayons rien à craindre de celui que madame de la Tournelle peut prendre ; elle aime l’éclat, les grandeurs, la renommée : et je parierais bien que, si son règne s’établit, grâce à elle nous verrons avant un an le roi à la tête de ses armées.
Et que dirait, bon Dieu, le cardinal ?
Bon ! il ne sera plus là pour nous contrarier.
Qu’importe ! sa cabale ne mourra pas avec lui, et vous verrez ce qu’elle tentera pour empêcher le pouvoir de revenir