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Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/255

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avec son chapeau bordé d’or, son cordon bleu et son bel habit brodé. Depuis ce jour-là je ne l’ai pas perdu de vue ; à chaque chose qu’il fait, en bien ou en mal, je fais mon marc de café, et je sais bientôt ce qu’il en arrivera !

— Et vous avez fait vos marcs ces jours-ci, gageons, dit madame de Châteauroux avec vivacité. Ah ! dites-nous ce que vous avez vu.

— C’est cela… je m’en vais vous dire les secrets du roi, à présent, vous me prenez vraiment pour une grande niaise ; sachez, mademoiselle, que, dans notre état, il vaudrait encore mieux, ne pas dire la vérité, que de la raconter à tout venant.

— Que tu es sotte de lui demander cela ! dit madame de Lauraguais, elle allait nous le dire. Au reste, ce n’est pas bien difficile à deviner, puisque le roi va à l’armée, c’est pour battre les ennemis.

— Oui ; mais les ennemis, pourquoi y vont-ils ?

— Pour être battus, dit le roi.

— battus, battus, grommela la vieille, c’est bientôt dit… Sans doute qu’ils seront battus… ce qui n’empêchera pas le roi d être dans un grand danger.

— Ah ! mon Dieu ! s’écria madame de Châteauroux en palissant.

— N’allez-vous pas donner dans tous ces contes ? dit le roi ; en vérité, ma sœur, je vous croyais plus raisonnable.

— Ah ! vous appelez cela des contes, vous, monsieur L’incrédule ; Eh bien, puisque vous le prenez ainsi, je ne vous en ferai pas, des contes, moi.

— Vous avez raison, reprit madame de Lauraguais, c’est un bavard qui ne mérite pas qu’on lui prédise ce qu’il dépendra : mais nous deux, qui avons une grande foi en votre -avoir, dites-nous quel danger menace le roi ?

— Vraiment je ne demanderais pas mieux, car vous êtes bien aimable, et celle belle blonde aussi ; mais, voyez-vous, c’est qu’il nous est défendu de parler de trois choses : du bon Dieu, du roi, et de M. le lieutenant de police.

— Ah ! ah ! l’ami Marleville[1] se place en bonne compagnie.

— Eh bien, qu’avez-vous à craindre ? reprit madame de Lauraguais. Le bon Dieu sait toujours tout, le roi jamais

  1. Lieutenant de police en 1744.