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Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/327

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par d’atroces douleurs. Avant d’y succomber, elle a fait ouvrir les rideaux de son lit, les fenêtres de sa chambre, et lever le voile que les prêtres avaient étendus sur le portrait de Votre Majesté. C’est dans la contemplation de cette image adorée que son regard s’est éteint, c’est dans les bras de sa sœur aînée qu’elle a rendu le dernier soupir, entourée de sa famille, de ses amis en pleurs, de ses malheureux domestiques dont les sanglots répondaient aux nôtres. Dans ce désespoir commun à tous, les portes de l’hôtel sont restées ouvertes ; les princesses, les seigneurs de la cour, qui venaient apprendre la triste nouvelle, entraient pêle-mêle avec les pauvres de la paroisse, qui demandaient à jeter de l’eau bénite sur le corps de leur bienfaitrice. Ah ! Sire, quel spectacle touchant !… quels regrets honorables !… combien ils justifient les pleurs que vous versez…

— Ah ! s’écria le roi, Dieu seul sait ce que je perds !… ce que perd la France !… Puis, se sentant hors d’état de surmonter l’excès de sa douleur, il alla s’enfermer à la Meute.

Le duc d’Aven, le prince de Soubise et M. de Meuse, effrayés de son désespoir, essayèrent en vain d’enfreindre l’ordre de ne laisser parvenir personne auprès du roi ; la reine elle-même, qui ne pouvait s’empêcher de rendre justice aux sentiments généreux de madame de Châteauroux, et qu’un avis secret semblait avertir des raisons qu’elle aurait un jour de déplorer sa mort, se présenta vainement pour offrir au roi des consolations. Duverney fut seul admis[1].

Il est vrai que, chargé des ordres du roi pour le service funèbre qui devait avoir lieu à Saint-Sulpice, le surlendemain du convoi de la duchesse de Châteauroux[2], il venait lui

  1. Marie Leczinska elle-même donna des regrets à la mort de la duchesse de Châteauroux : on raconte que, la nuit suivante, elle crut voir son ombre au pied du lit. Dans sa frayeur elle ordonna à madame Boirot, l’une de ses femmes de chambre, de veiller près d’elle, et de lui conter des histoires pour la distraire. « Je ne suis pas malade, dit-elle, mais cette pauvre madame de Châteauroux si elle revenait !… — Eh ! Jésus, madame, répondit la femme de chambre, si madame de Châteauroux revient, ce n’est pas Votre Majesté qu’elle viendra chercher. » La reine ne put s’empêcher de rire de cette réflexion.
  2. La duchesse de Châteauroux fut inhumée sous la chapelle Saint-Michel, à Saint-Sulpice ; son cercueil et celui de la princesse de Conti, qui étaient dans le même caveau, ont été mutilés en 1793.