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Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/35

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dévouement. Mais puisque tous m’avez réduit à des sentiments tout paternels pour vous, je vous dois la vérité et des avis conformes à votre situation et à votre caractère : vous êtes trop jeune, trop belle et trop mal gardée, pour ne pas succomber tôt ou tard à un sentiment romanesque. Votre premier mariage ne vous donne pas grande envie d’en faire un second ; il vous faudra prendre un amant, et se donner un maître vulgaire ; quand on peut enchaîner celui qui fait la loi à tous, c’est faire on sacrifice dont la vertu et l’orgueil ne profitent pas. J’en conviens, l’idée de vous voir entrer dans le corps des femmes galantes de la cour me désolerait ; non, vrai, si je vous voyais confondue avec ces femmes qu’on prend, qu’on trompe et qu’on quitte d’une manière si humiliante, j’en mourrais de chagrin.

— Tranquillisez-vous, monsieur le duc, je vous épargnerai, j’espère, ce chagrin-là.

— En déjouant nos ennemis, en venant à Marly, n’est-ce pas ?

— Non, reprit madame de la Tournelle, car depuis un moment je me sens beaucoup plus souffrante.

Et le duc de Richelieu, que son amitié pour Voltaire rendait ardent à le citer, se leva, baisa la main de la marquise, et sortit en déclamant ces vers :

Gardez d’être réduit au hasard dangereux,
De vous voir ou trahir ou prévenir par eux.
Passez-les en prudence aussi bien qu’en courage.
De cet heureux moment prenez tout l’avantage ;
Gouvernez la Fortune et sachez l’asservir :
C’est perdre ses faveurs que tarder d’en jouir[1].



VI

CONVERSATION


Le jour qui suivit cet entretien, madame de la Tournelle fut bien étonnée de voir entrer de bonne heure chez elle


  1. Voltaire, Adélaïde du Guesclin, acte II, scène vii.