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Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/46

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êtes la plus aimable personne du monde ; mais je veux, pour ma part, lui donner plus de peine.

Alors chaque personne répondit à son gré, et cette épreuve, innocente en apparence, fournit un bon nombre d’épigrammes sur certains caractères.

Si peu important que fût ce sujet de conversation, ils sont si rares à la cour, où l’on ne peut parler sans danger d’aucun des grands intérêts de la vie, qu’on en reparla encore au souper du roi. Madame la comtesse de Toulouse cita les réponses de madame de la Tournelle, on les commenta. Le roi seul n’en dit rien ; madame de Mailly, qui guettait toutes les impressions qui se peignaient sur son visage, s’aperçut qu’il devenait rêveur ; elle en fit la remarque, et Louis XV reprit un air gracieux comme à son ordinaire.

Le dimanche suivant, après avoir accompagné la reine à la chapelle, madame de Flavacourt et sa sœur vinrent se placer dans la travée qu’elles occupaient habituellement. Cette dernière, s’étant agenouillée, s’apprêtait à chercher son livre de messe, lorsqu’un autre livre relié magnifiquement avec un fermoir orne de Pubis et d’opales frappa ses regards ; elle l’ouvrit, ne doutant pas que le nom de la personne qui l’avait oublié ne fin inscrit sur ce livre précieux. C’était une Bible avec des peintures gothiques sur parchemin, aussi belles que celles qui décorent le livre d’heures d’Anne de Bretagne.

Sur la première page, on lisait ces mots tracés au crayon :

« À madame la marquise de la Tournelle. »

Son premier mouvement, en voyant ce superbe présent, fut de porter ses yeux sur la tribune royale, comme pour remercier la reine d’une faveur si grande ; mais son regard rencontre celui du roi, elle le voit sourire avec l’expression d’une joie douce et tendre. Il est dans le secret de cette gracieuse surprise… ou bien c’est lui… lui-même qui en est l’auteur… À cette pensée, madame de la Tournelle sent battre son cœur avec violence ; l’émotion qui la domine lui permet à peine de se soutenir. L’évangile commence, tout le monde se lève, elle est forcée de rester assise, et la crainte d’être remarquée ajoute encore au trouble qu’elle éprouve. Il y a, dans toutes les solennités de l’église et de la cour, quelque chose qui agit vivement sur l’imagination ;