Page:Nichault - Laure d Estell.djvu/147

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— Je crus en avoir déjà trop entendu, et je ne poussai pas l’indiscrétion plus loin. Le ton de sir James, les pleurs de Jeannette, et le souvenir de l’éloge qu’il m’en avait fait, suffirent pour m’éclairer. Je revins au château, en réfléchissant sur cette aventure qui ne me fut pas difficile à expliquer. Sir James a été trompé par une femme du grand monde, il les croit toutes perfides, cependant son cœur éprouve le besoin d’aimer, et pour se garantir d’une nouvelle trahison, il adresse ses vœux à l’être qui lui paraît le plus innocent ; puisse-t-il ne pas s’abuser encore ? Mais ce que je ne conçois pas aussi facilement, c’est le genre de séduction auquel il s’abaisse : a-t-il le projet d’unir cette petite fille à son sort ? Cela n’est pas probable, et s’il ne désire que sa possession, aura-t-il l’infamie de l’acheter au prix du déshonneur d’une famille entière ? Cette action s’accorde bien peu avec celles que je lui ai vu faire, et qui lui ont acquis mon estime ; mais tout est contraste dans le monde, l’âme la plus vertueuse est susceptible d’un instant d’égarement qui la conduit souvent au crime, pour la livrer ensuite à d’éternels remords, et l’amour offre bien des exemples de cette vérité ! Sir James n’a pas conçu le dessein de perdre Jeannette, mais il y parviendra sans s’en apercevoir. Il faudrait qu’un ami lui fît pressentir ce danger ; je crois le connaître assez pour être sûre qu’étant averti, il tenterait lui-même