Aller au contenu

Page:Nichault - Un mariage sous l empire.djvu/148

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

rent à l’amusement des conviés. Il y a de grandes difficultés à vaincre pour de pauvres visiteurs qui tombent au milieu d’un cercle bien établi, en train de s’applaudir, de s’amuser, et qui se voient interrompre dans son plaisir par de nouveaux venus, étrangers à l’intérêt qui l’occupe ! On se sent si mal à l’aise sous l’observation d’une coterie de gens d’esprit, qu’il est impossible de n’y pas faire quelque gaucherie, ou de n’y pas dire une sottise ; ce premier malheur arrivé, il n’y a plus moyen de reprendre de l’aplomb. On se sent ridicule, tout ce qu’on tente pour cesser de le paraître ajoute à la disgrâce, et le sourire mal déguisé des amis de la maison achève de vous déconcerter. Cette remarque justifie assez les gens qui s’affranchissent d’un usage, insipide pour celui qui fait la visite, comme pour ceux qui la reçoivent.

Ermance commençait à trouver son rôle difficile entre les deux sociétés distinctes qui se formaient dans son salon, et qui paraissaient déterminées à ne pas se confondre, lorsqu’on annonça M. Garat et sa charmante écolière. Alors chacun fut d’accord de se taire pour les entendre. Leurs talents enchanteurs triomphèrent du préjugé qui défend aux gens d’un certain rang de paraître jamais ravis d’aucune chose, et de l’insupportable manie que d’autres ont d’applaudir sans écouter : deux travers dont le résultat est également glacial pour ceux qui chantent et ceux qui aiment à entendre.

Après avoir charmé tout le monde par la grande scène d’Orphée, Garat chantait un de ces jolis boléros qu’il avait mis le premier à la mode, lorsque la duchesse d’Alvano parut tout à coup à la porte du salon, et s’assit sur une chaise qui se trouvait là, en faisant signe aux personnes qui voulaient se déranger pour elle, de ne point faire de bruit. On lui obéit sans peine, car chacun savait qu’interrompre Garat, c’était risquer de ne plus l’entendre de la soirée : on lui a souvent reproché cet excès de susceptibilité, et pourtant c’est à cette exigence qu’on a dû peut-être l’attention avec laquelle on écoutait alors la musique. Les égards, les prévenances pouvant seuls reconnaître le plaisir dû à un talent qui ne se faisait point payer, on se croyait obligé de l’écouter en con-