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Page:Nichault - Un mariage sous l empire.djvu/18

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y avait d’obscur dans certaines phrases du général. Il régnait dans cette lettre un ton de plaisanterie trop peu en harmonie avec sa disposition, et il ne fit que la parcourir, s’arrêtant à la seule chose essentielle qu’il y trouvât, l’ordre de revenir le plus tôt possible à Paris.

La duchesse de L… avait une fille mariée en Angleterre, qui héritait de sa fortune ; et elle ne légua à son neveu que sa bibliothèque, en souvenir des bons soins qu’elle en avait reçus. Quand le général Donavel vit arriver chez lui M. de Lorency en habit de deuil, il craignit un moment qu’un riche héritage ne rendît son aide de camp moins soumis aux désirs de l’empereur ; mais ayant appris qu’il était tout aussi pauvre qu’avant la mort de sa vieille parente, le général lui fit part du projet qu’on formait de lui faire épouser mademoiselle Brenneval.

La fierté de M. de Lorency s’offensa d’abord de la manière dont on disposait de lui sans le consulter, et il protesta de toute sa force contre cet acte de tyrannie.

— Que l’empereur décide à son gré de ma vie, dit-il, c’est son droit, et je n’ai jamais murmuré toutes les fois qu’il lui a plu d’en user ; mais, pour mon bonheur, je le supplie de m’en laisser l’arbitre. Qu’il distribue les filles de ses parvenus aux officiers de sa garde, à ses chambellans, ses ministres, il ne manquera pas de gens empressés de s’enrichir par ordre. Je ferais peut-être comme eux si j’étais né aussi pauvre, mais j’ai une plus noble ambition, et le désir de me faire distinguer à l’armée, d’acquérir et de mériter un beau grade, de m’assurer ainsi une existence indépendante est le seul que je forme pour être heureux. Vous souriez !… Ces sentiments sont-ils donc si déraisonnables qu’ils vous fassent pitié ?

— Déraisonnables ! reprit vivement le général, non vraiment, je les trouve d’autant meilleurs qu’ils sont les miens, et que si les circonstances n’étaient pas souvent plus forte qu’eux, j’aurais toujours agi d’après leur influence. Mais s’il est raisonnable de dédaigner la faveur, mon ami, il est encore plus raisonnable d’éviter la disgrâce. L’empereur veut sincèrement le bonheur et l’élévation des officiers de son armée ;