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Page:Nichault - Un mariage sous l empire.djvu/240

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qu’elle cherchait vainement à dissimuler, répandaient sur elle lin intérêt qu’on se sentait le besoin de lui témoigner. Jamais une plainte ne sortait de sa bouche, jamais la moindre altération dans son humeur ne laissait supposer qu’elle eût un sujet de peine, et pourtant chacun lui offrait des consolations et tentait de la distraire d’un chagrin dont rien ne prouvait l’existence.

Madame de Lorency, soumise à ce charme mystérieux, s’étonna de tous les frais d’amitié qu’elle fit à son insu pour mademoiselle Ogherman ; il est vrai que Natalie, ayant rencontré Léon dans la cour du château, l’avait pris des bras de sa nourrice pour le caresser, et qu’elle venait d’en parler comme du plus joli enfant qu’elle eût jamais vu. Enfin, soit reconnaissance ou sympathie, Ermance éprouva dès ce moment, pour elle, une affection vive, et lorsque Natalie lui dit : « Si vous saviez, madame, avec quelle impatience on vous espérait hier à Champville, vous ne refuseriez pas si cruellement d’y venir, » Ermance s’empressa de répondre qu’elle irait dès le lendemain lui prouver l’injustice de cet obligeant reproche.

Son empressement à rendre cette visite tenait beaucoup à la certitude de ne pas rencontrer ce jour-là le comte Albert chez sa tante ; mais s’il n’y était pas en personne, son souvenir y régnait partout ; on ne pouvait faire un pas dans la maison ou dans le jardin sans y rencontrer quelque chose arrangée d’après son goût et ses avis. C’était lui qui avait fait changer le vieux parc en jardin anglais, qui l’avait enrichi de vases, de statues envoyés d’Italie. Les tables dû salon étaient couvertes de ses dessins, des livres qu’il apportait chaque semaine de Paris. Sur un métier de tapisserie on voyait l’imitation d’une gravure rapportée par lui de Vienne. Sa giberne, son fusil de chasse étaient dans un coin du salon : on voyait que, malgré qu’ils fussent déplacés là, aucun domestique n’aurait osé les ranger ailleurs sans en avoir reçu l’Ordre. Enfin, tout y rappelait sa présence. Ainsi pensait madame de Lorency : la plupart des maisons ressemblent à ces temples antiques dont la divinité voilée est reconnue des voyageurs par les tributs épars qu’on y laisse.