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Page:Nichault - Un mariage sous l empire.djvu/254

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celle qu’on aurait exclusivement adorée tout sacrifier à la gloire de lui plaire un moment.

— Tout sacrifier ? reprit Ermance avec dignité.

— Pardon, je vous offense ; je suis un malheureux, un fou qui mérite bien plus votre pitié que votre colère ; par grâce, ne me jugez pas sur ce que la rage me fait dire en ce moment ; je me perds, je le sens je n’ai aucun droit de vous parler ainsi ; vous m’en punirez sans doute, en ne me permettant plus de vous parler de ma vie ; mais n’importe, je cède à une puissance au-dessus de ma volonté, de mon intérêt ; un seul moment, du moins, vous saurez ce que je pense, ce que j’aurai souffert ma vie entière sans vous l’apprendre, si la terreur de vous en voir écouter un autre ne m’avait égaré à ce point ; mais il vous aime, sans doute il vous l’a dit, il attend de vous l’amour que tant de femmes lui offrent. Cette pensée me tue, et vous ne saurez ajouter au supplice que j’éprouve.

En finissant ces mots, Albert s’était laissé tomber sur le siége qui se trouvait auprès de celui d’Ermance. Madame de Cernan causait de l’autre côté avec M. d’H…, dont l’esprit distingué et la gaieté piquante la captivaient entièrement. Ermance, interdite, craignait également d’encourager Albert dans sa folie, ou de la porter à l’extrême en la traitant légèrement. Elle se demandait comment il avait pu être amené à lui déclarer ainsi son amour, et elle s’étonnait de l’écouter sans défiance comme sans colère. C’est qu’il disait vrai, et que, tout en déplorant le sentiment qu’elle ne partageait point et qui excitait déjà la jalousie d’Adhémar, elle n’avait pas la mauvaise foi de le combattre par ces minauderies si communes aux femmes, par ces doutes affectés qui réclament de nouvelles assurances et diffèrent l’instant du refus.

— Vous m’affligez, dit-elle d’un accent pénétré, car je vous crois trop de noblesse dans l’âme pour vouloir agir sur la vanité d’une personne qui ne vous a pas donné le droit de l’abuser. Aucune coquetterie de ma part n’a pu vous encourager dans l’idée d’un sentiment romanesque entre nous, et je ne doute pas que cette folie d’un instant ne cède bientôt à la raison et à l’affection qu’il dépend de vous de m’inspirer.