Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/155

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— Si cela est, vous aurez, monsieur, l’esprit singulièrement orné l’hiver prochain.

— Ah ! si tu savais tout ce qu’il renferme !

— À en juger par l’enseigne, ce ne sont pas des plaisanteries, vraiment.

— Non ! répliqua Gustave en continuant sa lecture, je ne crois pas qu’on puisse réunir plus de grâce à plus d’esprit ! Quel ingénieux moyen !… Que de délicatesse… d’amour !…

— Comment, vous trouvez tout cela dans ce roman sinistre ?

— Tiens, juges-en toi-même ; et dis-moi si tu as jamais rien lu d’aussi touchant. Je pris le livre ; et voici la première page qui tomba sous mes yeux.

« Hommes fragiles et vains, qu’est devenu ce courage dont vous étiez si fiers ? Eh ! quoi ! il faut pénétrer dans les antres secrets de la caverne obscure, et déjà vous murmurez contre l’autorité qui vous condamne à la poursuite du crime. Votre valeur succombe à l’aspect des tombeaux ; et, quand il s’agit de délivrer l’innocence, vous ne songez qu’aux dangers qui vous menacent ; et pourtant c’est au nom de l’humanité que la victime vous implore. L’amour de la vertu, le plus pur des sentiments, le plus noble des enthousiasmes, est-il donc éteint dans vos cœurs ? Ah ! conjurez le Dieu qui rendit un enfant invincible de ranimer votre antique vaillance ; et, par des faits éclatants, ménagez-vous des souvenirs de gloire. Nos jours sont comptés. Imitez, s’il se peut, les héros qui ne sont plus. C’est à vous que l’écho du torrent adresse les plaintes de l’infortunée Rosamonda. Ne l’entendez-vous pas gémir et vous crier du fond de l’abyme : Délivrez-moi du spectre odieux de Rokingham ! Sa tombe s’entr’ouvre, il m’approche… Ah ! défendez mon honneur et ma vie. »

— Cela est sans doute fort beau, puisque vous le trouvez ainsi, dis-je après avoir lu tout haut ce pompeux galimatias ; mais je vous avoue, à ma honte, que je n’y comprends rien. Cependant il faut être juste, l’assortiment est complet. La caverne, les tombeaux, la vertu, la victime, l’humanité, l’abîme, le spectre, le torrent, rien n’y manque ; et voilà, j’en conviens, tout ce qui constitue le mérite de nos romans nouveaux.