Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/24

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un cœur sensible, un esprit juste ; et, dès ce moment, je me félicitai de dépendre d’elle ; car les personnes de ce caractère sont aussi faciles à aimer qu’à servir.



V


Le soir du même jour, mon maître s’étant débarrassé avec assez de peine du domestique qui, sous le prétexte de m’instruire des moindres détails de mon service, ne pouvait se décider à nous laisser seuls, me dit avec vivacité :

— Maintenant que nous voici libres ; dites-moi, Victor, où vous avez rencontré madame de Civray, et depuis quelle époque vous la connaissez ?

— Monsieur veut probablement parler de cette jolie dame qui dînait au château aujourd’hui ?

— N’est-ce pas qu’elle est charmante ! interrompit Gustave d’un air qui commandait l’affirmative.

— Beaucoup trop, lui répondis-je, surtout pour le repos d’un certain cordonnier qui avait déjà formé de grands projets sur elle.

— Que voulez-vous dire ? reprit mon maître avec hauteur.

Alors je lui racontai les petites aventures de notre voyage.

Ce récit l’amusa, mais comme l’idée de voir l’objet de son culte livré à des hommages grossiers avait blessé son amour-propre autant que son amour, il prit soin de m’expliquer les motifs qui condamnaient sa cousine à L’ennui de voyager ainsi ; et, pour prolonger le plaisir qu’il trouvait à parler d’elle au lieu de me dire tout simplement qu’ayant perdu sa fortune à la Révolution, elle en était réduite comme tant d’autres à voyager par la diligence, il me fit son histoire à partir du berceau. Je sus que, fille d’une sœur de madame de Révanne et d’un colonel qui avait dissipé tous les biens de sa famille, son père avait poussé la fureur du jeu jusqu’à jouer sa vie à pair ou non dans une affaire d’honneur où il l’avait perdue comme le reste. Madame de Révanne, touchée de l’état où cette mort plongeait sa sœur et sa nièce, leur avait offert un