Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/56

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— Tu es peut-être encore fatigué de ta course d’hier ? ajouta-t-il avec bonté.

— Oh ! non, monsieur. Je suis prêt à la recommencer.

— Puisque c’est ainsi, tu vas porter cette lettre à madame de Civray. Je l’ai laissée hier fort souffrante, et je désire avoir de ses nouvelles.

— Quoi ! elle était malade hier ? Cela me surprend ; jamais elle ne m’a paru plus fraîche et plus jolie.

— Cependant elle venait de se trouver mal quand tu l’as vue.

— C’est peut-être de surprise ; elle ne s’attendait guère à vous trouver là, à moins pourtant que M. de Norvel ne l’en ait prévenue, car ils me paraissent en grande confiance tous deux, ajoutai-je d’un ton qui semblait en vouloir dire beaucoup plus.

— Tu te trompes, reprit Gustave, sans se douter du piége que ma curiosité lui tendait ; Alméric a bien conçu le malin projet de me rendre jaloux : c’est, dit-on, un plaisir que les meilleurs amis ne se refusent jamais entre eux ; mais la pureté du cœur de Lydie ne pouvait se prêter à tourmenter le mien par un jeu si perfide. La noblesse de son âme, qui s’impose à tout sentiment factice, aurait dû me garantir d’un soupçon dont je rougis encore. Non, Lydie succomberait aux chagrins d’un amour qu’elle condamne, plutôt que d’en punir l’objet par une trahison. Tout en elle respire la candeur ; et l’homme le plus corrompu respecterait jusqu’à sa faiblesse.

Je me gardai bien d’interrompre par la moindre réflexion un discours auquel la reconnaissance la plus vive trouvait toujours quelque chose à ajouter. D’ailleurs, je me plaisais à entendre ce témoignage parlant de l’effet du bonheur sur un cœur généreux. J’ai toujours plaint celui que l’accomplissement de ses désirs rendait à la froideur et à l’ingratitude ; il ignore la meilleure part des bienfaits de l’amour, et même de l’amitié, qui ont attaché autant de bonheur à remercier qu’à recevoir.

Il était impossible de m’en apprendre davantage sans me rien confier : moins de discrétion m’aurait paru blâmable ; mais, tout en l’approuvant, je formais le projet de la décon-