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BATAILLE DE MACIEIOWICE.

tendais pas aux tourments que j’allais endurer bientôt.

Cependant le quartier général se remplissait de plus en plus. Parmi les arrivants, nous vîmes la femme du général Chruszczew avec ses filles et sa nièce ; elle venait du côté où le combat avait été le plus meurtrier, et rien ne prouvait mieux combien ces dames étaient aguerries, que de les voir sauter légèrement par-dessus les corps nus des grenadiers qui, à chaque pas, obstruaient leur passage.

Entre les quatre et cinq heures du soir, nous vîmes une troupe de soldats s’approcher du quartier général, portant sur un brancard, fait à la hâte, un homme à demi mort : c’était le général Kosciuszko. Le sang, qui couvrait son corps et sa tête contrastait d’une manière horrible avec la pâleur livide de son visage. Il avait une large blessure de sabre à la tête et trois coups de pique dans le dos, au dessus des reins. Il respirait à peine. Ce spectacle me déchira le cœur ; le silence, une morne stupeur, fut enfin interrompue par des sanglots et des cris d’une douleur aussi vive que sincère. J’embrassai le général, qui n’avait pas encore repris connaissance ; et, depuis ce moment jusqu’à celui où nous fûmes jetés dans des cachots solitaires, je ne m’en suis plus séparé.

Un chirurgien pansa ses blessures, mais n’osa rien prononcer sur son état. Il continuait à ne