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ITINÉRAIRE DES CAPTIFS.

bonne, comme c’était la plupart du temps le cas, le général riait, se frottait les mains, et disait : « Oczen choroszo,  » c’est très-bien, c’est très-bien. Il se mettait à table de bonne humeur en répétant toujours son « Oczen choroszo, oczen choroszo. ».

Aussitôt après dîner, il se couchait et dormait très-bien, ainsi que ses dames, car le proverbe : Le remords ne dort pas, se trouvait là en défaut. Ces monstres, gorgés de rapines et de viandes, dormaient comme s’ils n’avaient eu rien à se reprocher ; aussi le dernier degré du crime est-il d’être à l’épreuve du remords. Vers le soleil couchant, le cliquetis des tasses et des cuillers à thé les réveillait tous ; aussitôt ils se mettaient à boire de grandes tasses de Czaï ou thé. Outre les petits pains, gâteaux, confitures, etc., on leur apportait sur des grands plateaux d’argent des raisins, des amandes, des figues sèches, le tout enlevé des boutiques des malheureux juifs. Ils mangeaient, jouaient aux cartes, jusqu’à l’heure du souper. Pendant toute notre marche à travers la Pologne, c’était là le train ordinaire de leur vie.

Ces orgies faisaient un triste contraste avec nos souffrances et notre malheureuse position. Quatre officiers et trois grenadiers se relevaient tour à tour et ne nous perdaient jamais de vue. Je m’aperçus que le général Kosciuszko qui, les pre-