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Vous ne voyez que les étincelles de l’esprit : mais vous ignorez quelle enclume il est, et vous ne connaissez pas la cruauté de son marteau !

En vérité, vous ne connaissez pas la fierté de l’esprit ! mais vous supporteriez encore moins la modestie de l’esprit, si la modestie de l’esprit voulait parler !

Et jamais encore vous n’avez pu jeter votre esprit dans des gouffres de neige : vous n’êtes pas assez chauds pour cela ! Vous ignorez donc aussi les ravissements de sa fraîcheur.

Mais en toutes choses vous m’avez l’air de prendre trop de familiarité avec l’esprit ; et souvent vous avez fait de la sagesse un hôpital et un refuge pour de mauvais poètes.

Vous n’êtes point des aigles : c’est pourquoi vous n’avez pas appris le bonheur dans l’épouvante de l’esprit. Celui qui n’est pas un oiseau ne doit pas planer sur les abîmes.

Vous me semblez tièdes : mais froid est le courant de toute connaissance profonde. Glaciales sont les fontaines intérieures de l’esprit et délicieuses pour les mains chaudes de ceux qui agissent.

Vous êtes là, honorables et rigides, l’échine droite, ô sages célèbres ! — Vous n’êtes pas poussés par un vent fort et une volonté vigilante.

N’avez-vous jamais vu une voile passer sur la mer tremblante, arrondie et gonflée par l’impétuosité du vent ?

Pareille à la voile que fait trembler l’impétuosité de l’esprit, ma sagesse passe sur la mer — ma sagesse sauvage !

Mais, serviteurs du peuple, sages célèbres, — comment pourriez-vous venir avec moi ? —

Ainsi parlait Zarathoustra.

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