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des vieilles femmes fidèles, ils étaient prosternés en adorant l’âne. Et déjà le plus laid des hommes commençait à gargouiller et à souffler, comme si quelque chose d’inexprimable voulait sortir de lui ; cependant lorsqu’il se mit enfin à parler réellement, voici, c’était une singulière litanie pieuse, en l’honneur de l’âne adoré et encensé, qu’il psalmodiait. Et voici quelle fut cette litanie:

Amen ! Honneur et gloire et sagesse et reconnaissance et louanges et forces soient à notre Dieu, d’éternité en éternité !

— Et l’âne de braire I-A.

Il porte nos fardeaux, il s’est fait serviteur, il est patient de cœur et ne dit jamais non ; et celui qui aime son Dieu le châtie bien.

— Et l’âne de braire I-A.

Il ne parle pas, si ce n’est pour dire toujours oui au monde qu’il a créé ; ainsi il chante la louange de son monde. C’est sa ruse qui le pousse à ne point parler : ainsi il a rarement tort.

— Et l’âne de braire I-A.

Insignifiant il passe dans le monde. La couleur de son corps, dont il enveloppe sa vertu, est grise. S’il a de l’esprit, il le cache ; mais chacun croit à ses longues oreilles.

— Et l’âne de braire I-A.

Quelle sagesse cachée est cela qu’il ait de longues oreilles et qu’il dise toujours oui, et jamais non ! N’a-t-il pas crée le monde à son image, c’est-à-dire aussi bête que possible ?

— Et l’âne de braire I-A.