Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
    77    

Évaluer c’est créer : écoutez, créateurs ! Évaluer, c’est le trésor et des joyaux de toutes les choses évaluées.

C’est par l’évaluation que se donne la valeur : sans l’évaluation, la noix de l’existence serait creuse. Écoutez, créateurs !

Le changement des valeurs, c’est le changement de celui qui crée. Toujours détruit celui qui doit être le créateur.

Les créateurs furent d’abord des peuples et plus tard seulement des individus. En vérité, l’individu lui-même est la plus jeune des créations.

Des peuples jadis suspendirent au-dessus d’eux une table du bien. L’amour qui veut dominer et l’amour qui veut obéir se créèrent ensemble de telles tables.

Le plaisir du troupeau est plus ancien que le plaisir de l’individu. Et tant que la bonne conscience s’appelle troupeau, la mauvaise conscience seule dit : Moi.

En vérité, le moi rusé, le moi sans amour qui veut son bien dans le bien du plus grand nombre : ce n’est pas là l’origine du troupeau, mais sa destruction.

Ce furent toujours des fervents et des créateurs qui créèrent le bien et le mal. Le feu de l’amour et le feu de la colère brûlent du nom de toutes les vertus.

Zarathoustra vit beaucoup de pays et beaucoup de peuples : Il n’a pas trouvé de plus grande puissance sur la terre que l’œuvre des fervents : « bien » et « mal », voilà son nom.

En vérité, la puissance de ces louanges et de ces blâmes est pareille à un monstre. Dites-moi, mes frères, qui me le terrassera ? Dites, qui jettera une chaîne sur les mille nuques de cette bête ?