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AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA

Mais j’ai bien vu que tu voulais passer en silence près de moi, et j’ai vu ta rougeur : c’est par là que j’ai reconnu que tu étais Zarathoustra.

Tout autre m’eût jeté son aumône, sa compassion, du regard et de la parole. Mais pour accepter l’aumône je ne suis pas assez mendiant, tu l’as deviné.

Je suis trop riche, riche en choses grandes et formidables, les plus laides et les plus innommables ! Ta honte, ô Zarathoustra, m’a fait honneur !

À grand peine j’ai échappé à la cohue des miséricordieux, afin de trouver le seul qui, entre tous, enseigne aujourd’hui que « la compassion est importune » — toi, ô Zarathoustra !

— que ce soit la pitié d’un Dieu ou la pitié des hommes : la compassion est une offense à la pudeur. Et le refus d’aider peut être plus noble que cette vertu trop empressée à secourir.

Mais c’est cette vertu que les petites gens tiennent aujourd’hui pour la vertu par excellence, la compassion : ceux-ci n’ont point de respect de la grande infortune, de la grande laideur, de la grande difformité.

Mon regard passe au-dessus de tous ceux-là, comme le regard du chien domine les dos des grouillants troupeaux de brebis. Ce sont des êtres petits, gris et laineux, pleins de bonne volonté et d’esprit moutonnier.

Comme un héron qui, la tête rejetée en arrière, fait planer avec mépris son regard sur de plats ma-