Page:Nietzsche - Considérations inactuelles, I.djvu/161

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

L’habitude d’un train de maison aussi désordonné, agité à ce point et sans cesse en lutte, devient peu à peu une seconde nature, bien qu’il soit indiscutable que cette seconde nature est beaucoup plus faible, beaucoup plus inquiète et malsaine de part en part que la première. L’homme moderne, en fin de compte, traîne avec lui une énorme masse de cailloux, les cailloux de l’indigeste savoir qui, à l’occasion, font entendre dans son ventre un bruit sourd, comme il est dit dans la fable. Ce bruit laisse deviner la qualité la plus originale de l’homme moderne : c’est une singulière antinomie entre un être intime à quoi ne correspond pas un être extérieur, et vice versa. Cette antinomie, les peuples anciens ne la connaissaient pas.

Le savoir, absorbé immodérément et sans qu’on y soit poussé par la faim, absorbé même à l’encontre du besoin, n’agit plus dès lors comme motif transformateur, poussant à l’extérieur, mais demeure caché dans une sorte de monde intérieur, chaotique, qu’avec une singulière fierté, l’homme moderne appelle l’ « intimité » qui lui est particulière. Il vous arrive alors parfois de dire que l’on possède bien le sujet, mais que c’est seulement la forme qui fait défaut. Mais, pour tout ce qui est vivant, c’est là une opposition incongrue. Notre culture moderne n’est pas une chose vivante parce que, sans cette opposition, elle est inconcevable. Ce qui équivaut à dire qu’elle n’est point du tout