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HUMAIN, TROP HUMAIN

torturée. Et cependant cette habitude de souffrir du naturel est dans la réalité des choses totalement dénuée de fondement, elle n’est que la conséquence des opinions sur les choses. On se rend aisément compte combien les hommes deviennent plus mauvais du fait qu’ils notent comme mauvais ce qui est inévitablement naturel et plus tard le sentent toujours tel. C’est le procédé de la religion et des métaphysiques, qui veulent l’homme méchant et pécheur dénaturé, que de lui rendre la nature suspecte et de le faire ainsi lui-même plus mauvais : car de cette façon il apprend à se sentir mauvais, puisqu’il lui est impossible de dépouiller son vêtement de nature. Peu à peu il se sent, ayant longtemps vécu dans le naturel, oppressé d’un tel fardeau de péchés, que des puissances surnaturelles sont nécessaires pour lui enlever ce fardeau : et ainsi se produit le soi-disant besoin de rédemption, qui répond à un état de péché, non pas du tout naturel, mais acquis par l’éducation. Qu’on parcoure une à une les thèses morales exposées dans les chartes du christianisme, et l’on trouvera partout que les exigences sont tendues outre mesure, afin que l’homme n’y puisse pas suffire : l’intention n’est pas qu’il devienne plus moral, mais qu’il se sente le plus possible pécheur. Si ce sentiment n’était pas agréable à l’homme — pourquoi aurait-il produit une telle conception et s’y serait-il tenu si longtemps ? De même que dans le monde