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HUMAIN, TROP HUMAIN


route, l’un aussi bien que l’autre. Nous suivons tous un système révolutionnaire radicalement faux, — notre génération ou la prochaine arrivera encore à la même conviction. » C’est le même Byron qui dit : « Je regarde Shakespeare comme le pire des modèles, quoique le plus extraordinaire des poètes. » Et au fond, l’intuition artistique mûrie de Gœthe, dans la seconde partie de sa vie, ne dit-elle pas exactement la même chose ? cette intuition par laquelle il gagna une telle avance sur une série de générations, qu’on peut prétendre en gros que Gœthe n’a point encore exercé son action et que son temps est encore à venir ? C’est précisément parce que sa nature le maintint longtemps dans l’ornière de la révolution poétique, précisément parce qu’il exploita à fond tout ce qui indirectement, par cette rupture de la tradition, avait été découvert de mines, de vues, de moyens nouveaux, et ce qui avait été en même temps exhumé sous les ruines de l’art, que sa métamorphose et sa marche postérieure a tant de poids : elle signifie qu’il sentait le besoin profond de reprendre la tradition de l’art, et de prêter aux décombres et aux fûts de colonnes restés debout du temple, au moins par l’imagination de l’œil, la perfection et l’intégrité antiques, si la force du bras devait se montrer trop faible pour construire, là où des forces monstrueuses furent déjà nécessaires pour détruire. Il vivait ainsi dans l’art comme