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HUMAIN, TROP HUMAIN

d’esprit libre, vivant uniquement pour la connaissance, auront bientôt atteint leur but extérieur, leur situation définitive à l’égard de la société et de l’État, et par exemple se déclareront volontiers satisfaits d’un petit emploi ou d’une fortune qui suffit juste à leur existence, car ils s’arrangeront pour vivre de manière qu’un grand changement dans la fortune publique, et même une révolution de l’ordre politique, ne soit pas en même temps la ruine de leur vie. Ce sont là toutes choses auxquelles ils appliquent aussi peu que possible de leur énergie, pour plonger avec toutes leurs forces rassemblées et, en quelque sorte, avec une respiration longue dans l’élément de la connaissance. Ainsi ils peuvent espérer plonger profondément et peut-être bien voir jusqu’au fond. — D’un événement, un pareil esprit aime à ne prendre qu’un seul bout, il ne se plaît pas à voir les choses dans toute l’ampleur et l’abondance de leur développement : car il ne veut pas se développer en elles. — Lui aussi connaît les jours ouvrables de manque de liberté, dedépendance, de servitude. Mais de temps en temps il faut qu’il lui vienne un dimanche de liberté, autrement il ne supportera point la vie. — Il est probable que même son amour des hommes sera circonspect et quelque peu court d’haleine, car c’est seulement dans la mesure où il lui est nécessaire pour la fin de la connaissance qu’il veut s’engager dans le monde des instincts et de l’aveugle-