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HUMAIN, TROP HUMAIN

à l’aide de ces expériences suivre avec une intelligence plus complète d’immenses étapes de l’humanité antérieure ? N’est-ce pas justement sur ce terrain qui parfois le déplaît tant, sur le terrain de la pensée trouble, que sont poussés les plus beaux fruits de la vieille civilisation ? Il faut avoir aimé la religion et l’art comme on aime une mère et une nourrice — autrement on ne peut devenir sage. Mais il faut porter ses regards au delà, savoir grandir au-dessus ; si l’on reste dans leur suzeraineté, on ne les comprend pas. De même, il faut t’être familiarisé avec les études historiques et le jeu prudent de la balance : « d’un côté — de l’autre. » Fais un voyage rétrospectif, cheminant dans les vestiges où l’humanité a marqué sa longue marche douloureuse à travers le désert du passé : c’est ainsi que tu apprendras le plus sûrement dans quelle direction toute l’humanité future n’a plus la possibilité ni le droit d’aller. Et cependant que tu cherches de toutes tes forces à découvrir par avance comment le nœud de l’avenir est encore serré, ta propre vie prend la valeur d’un instrument et d’un moyen de connaissance. Il dépend de toi que tous les traits de ta vie : tes essais, tes erreurs, tes fautes, tes illusions, tes souffrances, ton amour et ton espoir entrent sans exception dans ton dessein. Ce dessein est de devenir toi-même une chaîne nécessaire d’anneaux de la civilisation et de conclure de cette nécessité à la nécessité dans la marche de