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HUMAIN, TROP HUMAIN


la bête : il pensait réellement avoir dans le langage la connaissance du monde. Le créateur de mots n’était pas assez modeste pour croire qu’il ne faisait que donner aux choses des désignations, il se figurait au contraire exprimer par les mots la science la plus élevée des choses ; en fait, le langage est le premier degré de l’effort vers la science. C’est la foi dans la vérité trouvée dont, ici encore, ont dérivé les sources de force les plus puissantes. C’est bien plus tard, de nos jours seulement, que les hommes commencent d’entrevoir qu’ils ont propagé une monstrueuse erreur dans leur croyance au langage. Par bonheur, il est trop tard pour que cela détermine un recul de l’évolution de la raison, qui repose sur cette croyance. — La logique aussi repose sur des postulats auxquels rien ne répond dans le monde réel, p. ex. sur le postulat de l’égalité des choses, de l’identité de la même chose en divers points du temps : mais cette science est née de la croyance opposée (qu’il y avait certainement des choses de ce genre dans le monde réel). Il en est de même de la mathématique, qui assurément ne serait pas née, si l’on avait su d’abord qu’il n’y a dans la nature ni ligne exactement droite, ni cercle véritable, ni grandeur absolue.

12.

Rêve et civilisation. — La fonction du cerveau qui est le plus altérée par le sommeil est la mé-