moi, le dormant », — ainsi juge l’esprit du dormeur. Le passé prochain ainsi trouve par raisonnement lui est rendu présent par l’imagination excitée.
Ainsi chacun sait par expérience avec quelle rapidité l’homme qui rêve introduit un son fort qui
lui parvient, par exemple des glas de cloches, des
coups de canon, dans la trame de son rêve, c’est-à-dire en tire l’explication à rebours, si bien qu’il
pense éprouver d’abord les circonstances occasionnelles, puis ce son. —
Mais comment se fait-il que
l’esprit des rêveurs frappe ainsi toujours à faux,
tandis que le même esprit, dans la veille, a coutume d’être si réservé, si prudent et si sceptique à
l’égard des hypothèses ? au point que la première
hypothèse venue pour l’explication d’une sensation
suffit pour croire incontinent à sa vérité ? (car nous
croyons dans le rêve au rêve, comme si c’était une
réalité, c’est-à-dire que nous tenons notre hypothèse
pour complètement démontrée). — Je pense : que,
comme maintenant encore l’homme conclut en rêve,
l’humanité concluait aussi dans la veille durant
bien des milliers d’années : la première causa qui
se présentait, à l’esprit pour expliquer quelque
chose qui avait besoin d’explication lui suffisait et
passait pour vérité. (C’est ce que font encore aujourd’hui les sauvages, d’après les récits des voyageurs.)
Dans le rêve continue à agir en nous ce type très
ancien d’humanité, parce qu’il est le fondement
sur lequel la raison supérieure s’est développée et se
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HUMAIN, TROP HUMAIN