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HUMAIN, TROP HUMAIN

nombre de déterminer ce qu’il entend par une vie supportable ; s’il se croit l’intelligence suffisante pour trouver les vrais moyens de conduire à ce but, à quoi servirait-il d’en douter ? Ils veulent dorénavant être les artisans de leur bonheur et de leur malheur ; et si ce sentiment de maîtrise de soi, l’orgueil des cinq ou six idées que leur tête renferme et met au jour, leur rend en effet la vie si agréable qu’ils supportent volontiers les conséquences fatales de leur étroitesse d’esprit : il y a peu d’objections à faire, pourvu que cette étroitesse n’aille pas jusqu’à demander que tout soit de la politique en ce sens, que chacun doive vivre et agir suivant cette mesure. Premièrement, il faut plus que jamais qu’il soit permis à quelques-uns de se retirer de la politique et de marcher un peu de côté : c’est où les pousse, eux aussi, le plaisir d’être maîtres de soi, et il peut y avoir aussi une petite fierté à se taire quand trop ou seulement beaucoup parlent. Puis on doit pardonner à ces quelques-uns, s’ils ne prennent pas si au sérieux le bonheur du grand nombre, que l’on entende par là des peuples ou des classes dans un peuple, et se paient çàret là une grimace ironique ; car leur sérieux est ailleurs, leur bonheur est une autre conception, leur but n’est pas de ceux qui se laissent saisir par toute main grossière, pourvu qu’elle ait cinq doigts. Enfin il vient — et c’est ce qui leur est accordé le plus difficilement, mais qui tout de même doit être accordé de temps