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OPINIONS ET SENTENCES MÊLÉES

choses difficiles à dire, mais dignes de réflexion.

219.

Du caractère acquis des Grecs. — Par la fameuse clarté grecque, par la transparence, la simplicité, la belle ordonnance des œuvres grecques, par ce qu’elles ont de naturel et d’artificiel à la fois, comme si elles étaient faites decristal, nous nous laissons facilement induire à croire que tout cela a été donné, aux Grecs dès l’origine : nous croyons, par exemple, qu’ils ne pouvaient pas faire autrement que de bien écrire, comme l’a une fois prétendu Lichtenberg. Mais il n’y a pas d’opinion plus prématurée et qui tient moins debout. L’histoire de la prose de Gorgias à Démosthène montre un travail et une lutte pour sortir de l’obscurité, de la lourdeur, du mauvais goût et parvenir à la lumière, au point qu’il faut songer aux péripéties des héros qui tracent les premiers chemins à travers les forêts et les marécages. Le dialogue de la tragédie est le véritable haut fait des dramaturges, car il est d’une clarté et d’une netteté extraordinaires, tandis que la disposition naturelle du peuple tendait vers l’ivresse du symbole et de l’allusion, à quoi l’avait encore encouragé le grand lyrisme du chœur : tout comme ce fut le haut fait d’Homère d’avoir délivré les Grecs de la pompe asiatique et des allures épaisses, et d’être parvenu, dans l’ensemble et dans le menu, à la limpidité de l’architecture. Dire quelque chose d’une façon pure et lumineuse n’était d’ailleurs nullement tenu pour facile ; d’où viendrait autrement la grande admiration que l’on pro-