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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE



98.

Quelque chose comme du pain. — Le pain neutralise le goût des autres aliments, il l’efface ; c’est pourquoi il fait partie de tous les repas. Dans toutes les œuvres d’art il faut qu’il y ait quelque chose comme du pain, pour que celles-ci puissent réunir des effets différents : des effets qui, s’ils se succédaient immédiatement sans un de ces repos et arrêts momentanés, épuiseraient rapidement et provoqueraient de la répugnance : ce qui rendrait un long repas de l’art impossible.

99.

Jean Paul. — Jean Paul savait beaucoup de choses, mais ne possédait pas de science ; il s’entendait à toutes sortes d’artifices dans les arts, mais il ne possédait pas d’art ; il n’y avait à peu près rien qu’il trouvât insipide, mais il n’avait pas de goût ; il possédait du sentiment et du sérieux, mais lorsqu’il voulait y faire goûter, il versait là-dessus un insupportable torrent de larmes ; il avait même de l’esprit, mais malheureusement beaucoup trop peu pour son avidité : c’est pourquoi il poussait ses lecteurs au désespoir justement par son manque d’esprit. En somme il n’était pas autre chose qu’une mauvaise herbe bariolée et d’une odeur violente qui se mettait à pousser d’un jour à l’autre dans les sillons féconds et précieux de Schiller et de Gœthe : c’était un bonhomme convenable et pourtant un homme fatal — la fatalité en robe de chambre.