Page:Nietzsche - Humain, trop humain (2ème partie).djvu/330

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
330
HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

venir, qui paraît insaisissable et immorale maintenant, mais dont ce doit être un bonheur indescriptible d’apercevoir l’aurore.

186.

Regardant en arrière. — Tous les criminels forcent la société à revenir à des degrés de civilisation antérieurs à celui où elle se trouve au moment où le crime s’accomplit ; ils agissent en arrière. Que l’on songe aux instruments que la société est obligée de se créer et d’entretenir pour sa défense : au policier madré, au geôlier, au bourreau ; que l’on se demande enfin si le juge lui-même, et la punition et toute la procédure judiciaire, dans leurs effets sur le non-criminel, ne sont pas plutôt faits pour déprimer que pour élever. C’est qu’il ne sera jamais possible de prêter à la légitime défense et à la vengeance le vêtement de l’innocence ; et chaque fois que l’on utilise et sacrifie l’homme, comme un moyen pour accomplir le but de la société, toute l’humanité supérieure en est attristée.

187.

La guerre comme remède. — Aux peuples qui deviennent faibles et misérables on pourrait conseiller la guerre comme remède : à condition, bien entendu, qu’ils veuillent à toute force continuer à vivre : car, pour la consomption des peuples, il y a aussi une cure de brutalité. Mais vouloir vivre éternellement et ne pas pouvoir mourir, c’est déjà un symptôme de sénilité dans le sentiment. Plus on vit avec ampleur et supériorité, plus vite on est prêt