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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

villes, de ceux donc qui, en tant qu’hommes européens, n’ont pas encore atteint leur maturité. — Les femmes européennes y sont parvenues bien moins encore, c’est pourquoi chez elles les oscillations sont bien plus grandes : elles aussi ne veulent pas affirmer leur nationalité et détestent de voir démasquée, d’après le costume, leur qualité d’Allemande, de Française, ou de Russe, mais, en tant qu’individualité, il leur plaît de frapper la vue ; de même personne, à la façon dont elles sont vêtues, ne doit conserver un doute sur la classe de la société dont elles font partie (c’est la « bonne » société, la classe « supérieure », le « grand » monde), et elles tiendront d’autant plus à ce que l’on soit prévenu en leur faveur, dans ce sens, qu’elles n’appartiennent pas véritablement à cette classe ou qu’elles y appartiennent à peine. Mais avant tout la jeune femme ne veut rien porter de ce que porte la femme plus âgée parce que, en faisant soupçonner qu’elle compte quelques années de plus, elle croit qu’elle sera moins appréciée : la femme âgée, pour sa part, voudrait, par une toilette juvénile, faire illusion tant qu’il est possible, — une rivalité d’où il résulte toujours des modes où le caractère juvénile s’affirme d’une façon visible et inimitable. Lorsque l’esprit inventif des jeunes femmes artistes s’est complu pendant un certain temps à faire étalage de la jeunesse, ou, pour dire toute la vérité : lorsque l’on est de nouveau revenu à l’esprit inventif des anciennes civilisations de cour, pour s’en inspirer, ainsi qu’à celui des nations contemporaines et, en général, à tout l’univers costumé,