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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

cela, quelle amertume nouvelle entre les propriétaires nouveaux, quelle jalousie, quels regards envieux ! car il n’y a jamais eu de lots de terre véritablement égaux, et, s’il en existait, l’esprit jaloux des biens du voisin n’y croirait pas. Et combien de temps durait cette égalité malsaine, empoisonnée dès l’origine ? Après quelques générations un seul lot était transmis par héritage à cinq têtes différentes, ailleurs cinq lots se réunissaient sur une seule tête. Et, pour le cas où l’on évitait ces inconvénients par de sévères lois d’héritage, les lots de terre continuaient, il est vrai, à être égaux, mais il restait toujours des nécessiteux et des mécontents qui ne possédaient rien autre chose que leur jalousie des biens du voisin et leur désir du renversement de toute chose. — Si, par contre, selon la seconde recette, on veut rendre la propriété à la commune et ne faire de l’individu qu’un fermier provisoire, on détruit la terre cultivée. Car l’homme est sans prévoyance à l’égard de ce qu’il ne possède que d’une façon passagère, il ne fait pas de sacrifices et agit en exploiteur, en brigand ou en misérable gaspilleur. Si Platon prétend que la suppression de la propriété supprimera l’égoïsme, il faut lui répondre qu’après déduction de celui-ci ce ne seront certainement pas les vertus cardinales de l’homme qui resteront, — de même qu’il faut affirmer que la pire peste ne pourrait faire autant de mal à l’humanité que si l’on en faisait disparaître la vanité. Sans vanité et sans égoïsme — que sont donc les vertus humaines ? Par quoi je suis loin de vouloir dire que celles-ci ne sont que des masques de celles-là. La mélodie fon-