Comme cela arrive à chacun, mes amis, lorsqu’il reste longtemps en chemin, plein de curiosité, séjournant longtemps à l’étranger, moi aussi j’ai vu passer sur mon chemin maint esprit singulier et dangereux : mais c’en était un, avant tout, qui revenait sans cesse, et non des moindres — nul autre que le dieu Dionysos, ce grand dieu équivoque et tentateur, à qui j’avais offert jadis, comme vous savez, en toute « vénération humaine », mon œuvre de début : — c’était un véritable holocauste de jeunesse, plus fumée que flamme !
Entre temps, j’appris bien des choses, trop de choses, sur
la philosophie de ce dieu — et peut-être viendra pour moi
un jour de si grand calme et de bonheur alcyonien, que mes
lèvres déborderont pour raconter tout ce que je sais, pour
vous raconter, mes amis, la philosophie de Dionysos. À mi-voix,
bien entendu, car il s’agit là de maintes choses mystérieuses,
nouvelles, étranges, problématiques et même inquiétantes.
Mais Dionysos est un philosophe et les dieux, eux
aussi, font de la philosophie, cela me semble être une nouveauté
bien problématique et pleine de choses insidieuses, qui
éveillera peut-être de la méfiance, surtout parmi les philosophes :
— parmi vous, mes amis, elle soulèvera peut-être
moins d’objections, à moins qu’elle ne vous parvienne pas en
temps opportun, car je me suis laissé dire que, de nos jours,
on est mal disposé, parmi vous, en faveur des dieux I
C’était le printemps et dans tous les arbres montait la jeune sève, En traversant les bois, tandis que je réfléchissais à un enfantillage, je me mis à tailler une flûte, sans savoir au juste ce que je faisais. Mais à peine l’avais-je portée à mes