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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE



147.

Devenir grand aux dépens de l’histoire. — Tout maître moderne qui entraîne dans son orbite le goût de l’amateur d’art provoque involontairement un choix parmi les œuvres des maîtres anciens et une nouvelle évaluation : ce qu’il y a, dans celles-ci, de conforme à sa nature, de parent à son génie, ce qui le prévoit et l’annonce apparaît dès lors comme ce qu’il y a de véritablement significatif dans les œuvres anciennes. — Et c’est un fruit où se cache généralement le ver d’une grosse erreur.

148.

Comment on peut gagner une époque pour l’art. — Que l’on apprenne aux hommes, au moyen de toutes les séductions des artistes et des penseurs, à avoir de la vénération pour leurs défauts, leur pauvreté intellectuelle, leur aveuglement insensé et leurs passions — et cela est possible —, que l’on ne montre que le côté sublime du crime et de la folie, de Ia faiblesse des gens sans volonté, et de ceux qui se soumettent aveuglément que le côté touchant — cela aussi a été fait assez souvent — : et l’on aura employé le moyen qui peut inspirer à une époque, fût-elle des plus anti-artistiques et anti-philosophiques, l’amour enthousiaste de la philosophie et de l’art (surtout l’amour des artistes et des penseurs), et, dans des circonstances critiques, peut-être la seule façon de conserver l’existence d’organismes aussi tendres et aussi exposés.