Page:Nietzsche - La Volonté de puissance, t. 1, 1903.djvu/228

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eté et de mensonge qui s’est jusqu’à présent appelé moral. Les siècles, les peuples, qu’ils soient les premiers ou les derniers, les philosophes et les vieilles femmes - sur ce point ils sont tous dignes les uns des autres. L’homme a été jusqu’à présent l’être moral par excellence, un objet de curiosité sans égale - et, en tant qu’être moral, il fut plus absurde, plus menteur, plus vaniteux, plus léger, plus préjudiciable à lui-même que ne saurait rêver le plus grand détracteur de l’humanité. La morale est la forme la plus maligne de la volonté de mentir, la véritable Circé de l’humanité : c’est ceci précisément qui l’a corrompue. Ce n’est pas l’erreur en tant qu’erreur qui, à cette vue, me cause de l’épouvante, ce n’est pas le manque de " bonne volonté ", de discipline, de convenance, de courage intellectuel dont nous souffrons depuis des milliers d’années : c’est le manque de naturel, le fait épouvantable que la contre-nature elle-même a été vénérée avec les plus grands honneurs, sous le nom de morale, et qu’elle est restée suspendue, telle une loi, au-dessus de l’humanité. Comment est-il possible que l’humanité n’ait pas été mise en garde depuis longtemps contre cette forme de l’erreur la plus inquiétante et la plus dangereuse ? — que c’est moi le premier qui la mets en garde ?… Se méprendre en une telle mesure, — non point en tant qu’individu ou en tant que peuple, mais en tant qu’humanité ! De quoi c’est-il le signe ? — Que l’on enseigne à mépriser les instincts