Page:Nietzsche - La Volonté de puissance, t. 1, 1903.djvu/279

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ctère aux classes dominantes. Et l’on menace, on se met en colère, on maudit ; on devient vertueux à force de s’indigner, — on ne veut pas être devenu en vain un méchant homme, une canaille… Cette attitude, une invention de nos dix dernières années, s’appelle aussi pessimisme, à ce que l’on m’a dit, pessimisme d’indignation. On a la prétention de juger l’histoire, de la dépouiller de sa fatalité, de trouver derrière elle une responsabilité et, en elle, les coupables. Car c’est de cela qu’il s’agit, on a besoin de coupables. Les déshérités, les décadents de toute espèce sont en révolte contre leur condition et ont besoin de victimes pour ne pas éteindre, sur eux-mêmes, leur soif de destruction ( - ce qui, en soi, pourrait paraître raisonnable). Mais il leur faut une apparence de droit, c’est-à-dire une théorie qui leur permette de se décharger du poids de leur existence, du fait qu’ils sont conformés de telle sorte, sur un bouc émissaire quelconque. Ce bouc émissaire peut être Dieu - il ne manque pas en Russie de pareils athées par ressentiment -, ou l’ordre social, ou l’éducation et l’instruction, ou les juifs, ou les gens nobles, ou bien, en général, tous ceux qui ont réussi de quelque façon que ce soit. " C’est un crime d’être né sous des conditions favorables : car de la sorte on a déshérité les autres, on les a mis à l’écart, condamnés au vice et même au travail "… " Qu’y puis-je, si je suis misérable ! Mais il faut que quelqu’un y puisse quelque