Page:Nietzsche - La Volonté de puissance, t. 1, 1903.djvu/299

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tu. — Pour toute espèce d’homme demeurée vigoureuse et près de la nature, l’amour et la haine, la reconnaissance et la vengeance, la bonté et la colère, l’action affirmative et l’action négative sont inséparables. On est bon, à condition que l’on sache aussi être méchant ; on est méchant parce que, autrement, on ne saurait être bon. D’où vient donc cet état maladif, cette idéologie contre nature, qui refuse une double tendance, — qui enseigne comme vertu suprême de ne posséder qu’une demi-valeur ? D’où vient cette hémiplégie de la vertu, invention de l’homme bon ?… On exige de l’homme qu’il s’ampute de ces instincts qui lui permettent de faire de l’opposition, de nuire, de se mettre en colère, d’exiger la vengeance… A cette dénaturation correspond alors cette conception duelle d’un être purement bon et d’un être purement mauvais (Dieu, l’esprit, l’homme), résumant, dans le premier cas, toutes les forces, intentions et conditions positives, dans le dernier toutes les négatives. — Par là une pareille évaluation se croit " idéaliste " ; elle ne doute pas que c’est dans sa conception du " bien " qu’elle a fixé le but des désirs suprêmes. Lorsqu’elle a atteint son sommet, elle envisage une condition où tout le mal serait annulé et où il ne resterait véritablement que les êtres bons. Elle n’admet donc même pas comme certain que, dans cette opposition, le bien et le mal sont conditionnés l’un par l’autre ; elle veut, au contraire, que le mal disparaisse et que