Page:Nietzsche - La Volonté de puissance, t. 2.djvu/281

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et extraordinaire. Et de même à rebours ! - Que l'on songe à ce renversement dans l'œuvre de Hafis; et Goethe lui-même, quoique d'une façon très atténuée, donne une idée de ce phénomène. Il est probable que, chez de pareils hommes parfaits et bien venus, les jeux les plus sensuels sont transfigurés par une ivresse des symboles propre à l'intellectualité la plus haute; ils sentent sur eux-mêmes une sorte de divinisation du corps et sont très éloignés de la philosophie ascétique du " Dieu est esprit ": d'où il ressort clairement que l'ascète est l'homme " mal venu " qui n'approuve qu'une parcelle de lui-même, et justement cette parcelle qui juge et condamne et qu'il appelle " Dieu ". Depuis ce sommet de joie, où l'homme se sent lui-même, totalement, pareil à une forme divinisée et à une justification de la nature, jusqu'au plaisir du paysan bien portant, de cet être sain mi-homme mi-bête: toute cette échelle de bonheur, énorme coulée de lumière et de couleur, le Grec, non sans le frisson reconnaissant de celui qui est initié à un secret, non sans beaucoup de précautions et de mutisme pieux - le Grec l'appelait du nom divin de Dionysos. - Que savent donc les hommes des temps modernes, enfants d'une époque fragile, multiple, malade et étrange, que peuvent-ils savoir de l'étendue du bonheur grec ! Où les esclaves des " idées modernes " iraient-ils chercher un droit aux fêtes dionysiennes !