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LE CRÉPUSCULE DES IDOLES

avec plus de dépravation des deux grands narcotiques européens, l’alcool et le christianisme. Récemment, il s’en est même encore ajouté un troisième, qui suffirait, à lui seul, pour consommer la ruine de toute subtile et hardie mobilité de l’esprit ; je veux parler de la musique, de notre musique allemande bourbeuse et embourbée. — Combien y a-t-il de lourdeur chagrine, de paralysie, d’humidité, de robes de chambre, combien y a-t-il de bière dans l’intelligence allemande ! Comment est-il possible que des jeunes gens qui vouent leur existence aux buts les plus spirituels ne sentent pas en eux le premier instinct de la spiritualité, l’instinct de conservation de l’esprit — et qu’ils boivent de la bière ?… L’alcoolisme de la jeunesse savante n’est peut-être pas encore une raison pour révoquer en doute leur savoir — même sans esprit on peut être un grand savant — mais, à tout autre égard, il demeure un problème. Où ne la trouverait-on pas, cette douce dégénérescence que produit la bière dans l’esprit ? Dans un cas resté presque célèbre, j’ai une fois mis le doigt sur une pareille plaie — la dégénérescence de notre premier libre penseur allemand, le prudent David Strauss, devenu l’auteur d’un évangile de brasserie et d’une « foi nouvelle »… Ce n’est pas en vain qu’il a fait à l’« aimable brune »[1] sa dédicace en vers : — Fidèle jusqu’à la mort…

3.

— J’ai parlé de l’esprit allemand : j’ai dit qu’il

  1. Lisez : « la bière ». — N. d. T.