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LE CRÉPUSCULE DES IDOLES

poète lyrique sont foncièrement parents dans leurs instincts et forment un tout dont les parties se sont spécialisées et séparées peu à peu — même jusqu’à la contradiction. Le poète lyrique resta le plus longtemps uni au musicien, l’acteur au danseur. — L’architecte ne représente ni un état apollinien ni un état dionysien : chez lui c’est le grand acte de volonté, la volonté qui déplace les montagnes, l’ivresse de la grande volonté qui a le désir de l’art. Les hommes les plus puissants ont toujours inspiré les architectes ; l’architecte fut sans cesse sous la suggestion de la puissance. Dans l’édifice, la fierté, la victoire sur la lourdeur, la volonté de puissance doivent être rendues visibles : l’architecture est une sorte d’éloquence du pouvoir par les formes, tantôt convaincante et même caressante, tantôt donnant seulement des ordres. Le plus haut sentiment de puissance et de sûreté trouve son expression dans ce qui est de grand style. La puissance qui n’a plus besoin de démonstration ; qui dédaigne de plaire ; qui répond difficilement ; qui ne sent pas de témoin autour d’elle ; qui, sans en avoir conscience, vit des objections qu’on fait contre elle ; qui repose sur elle-même, fatalement, une loi parmi les lois : c’est ce qui parle de soi en grand style. —

12.

J’ai lu la vie de Thomas Carlyle, cette farce involontaire, cette interprétation héroïco-morale des affections dyspeptiques. — Carlyle, un homme aux fortes paroles et aux fortes attitudes, un rhéteur par