Page:Nietzsche - Le Crépuscule des Idoles - Le Cas Wagner - Nietzsche contre Wagner - L'Antéchrist (1908, Mercure de France).djvu/201

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
201
LE CRÉPUSCULE DES IDOLES


ner, à diffamer et à noircir la Société : le « Jugement dernier » reste la plus douce consolation de la vengeance, — c’est la révolution telle que l’attend le travailleur socialiste, mais conçue dans des temps quelque peu plus éloignés… L’ « au-delà » lui-même — à quoi servirait cet au-delà, si ce n’est à salir l’ « en-deçà » de cette terre ?…

35.

Critique de la morale de décadence. — Une morale « altruiste », une morale où s’étiole l’amour de soi — est, de toute façon, un mauvais signe. Cela est vrai des individus, cela est vrai, avant tout, des peuples. Le meilleur fait défaut quand l’égoïsme commence à faire défaut. Choisir instinctivement ce qui est nuisible, se laisser séduire par des motifs « désintéressés », voilà presque la formule de la décadence. « Ne pas chercher son intérêt » — c’est là simplement la feuille de vigne morale pour une réalité toute différente, je veux dire physiologique : « Je ne sais plus trouver mon intérêt… » Désagrégation des instincts ! — C’en est fini de l’homme quand il devient altruiste. — Au lieu de dire naïvement : « Je ne vaux plus rien », le mensonge moral dit, dans la bouche du décadent : « Il n’y a rien qui vaille, — la vie ne vaut rien… » Un tel jugement finit par devenir un grand danger, il a une action contagieuse, — sur tout le sol morbide de la Société abonde une végétation tropicale d’idées, tantôt sous forme de religion (christianisme), tantôt sous forme de philosophie (schopenhauérisme). Il arrive qu’une