Page:Nietzsche - Le Crépuscule des Idoles - Le Cas Wagner - Nietzsche contre Wagner - L'Antéchrist (1908, Mercure de France).djvu/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
231
LE CRÉPUSCULE DES IDOLES


deur, le sentiment idéal — j’ai été gardé de cette « haute naïveté », une niaiserie allemande en fin de compte, par le psychologue que je portais en moi. Je vis leur instinct le plus violent, la volonté de puissance, je les vis trembler devant la force effrénée de cette impulsion, — je vis naître toutes leurs institutions de mesures de précautions pour se garantir réciproquement des matières explosives qu’ils avaient en eux. L’énorme tension intérieure se déchargeait alors en haines terribles et implacables au-dehors : les villes se déchiraient réciproquement pour que leurs citoyens trouvent individuellement le repos devant eux-mêmes. On avait besoin d’être fort : le danger était toujours proche, — il guettait partout. Les corps superbes et souples, le réalisme et l’immoralisme intrépides qui étaient le propre des Hellènes leur venaient de la nécessité et ne leur étaient pas « naturels ». C’était une conséquence et non pas quelque chose qui leur venait d’origine. Les fêtes et les arts ne servaient aussi qu’à produire un sentiment de supériorité, à montrer la supériorité : ce sont là des moyens de glorification de soi, ou même des moyens de faire peur. Juger les Grecs à l’allemande, d’après leurs philosophes, se servir de la lourde honnêteté de l’école socratique pour trouver une explication de la nature des Grecs !… Comme si les philosophes n’étaient pas les décadents de l’hellénisme, le mouvement d’opposition contre l’ancien goût noble (— contre l’instinct agonal, contre la Polis, contre la valeur de la race, contre l’autorité de la tradition). Les vertus socratiques furent prêchées parce que les Grecs les