Page:Nietzsche - Par delà le bien et le mal.djvu/164

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
164
PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

dois »… L’homme cherche à satisfaire ce besoin et à lui donner une matière. Selon la force, l’impatience, l’énergie de ce besoin, il accaparera sans choix, avec un appétit grossier, et acceptera tout ce que lui soufflent à l’oreille ceux qui le commandent, que ce soient ses parents, ou des maîtres, des lois, des préjugés de classe ou des opinions publiques. L’étrange pauvreté du développement humain, ce qu’il a d’indécis, de lent, de rétrograde et de circulaire, tient à ce fait que l’instinct de troupeau de l’obéissance s’est transmis, aux dépens de l’art de commander. Qu’on suppose cet instinct se portant aux derniers excès ; les chefs et les indépendants finiront par manquer ou bien leur mauvaise conscience les fera souffrir et ils auront besoin de se forger à eux-mêmes un mensonge, pour pouvoir commander : comme si, eux aussi, ne faisaient qu’obéir. Cet état de choses règne, en effet, dans l’Europe d’aujourd’hui. Je l’appelle l’hypocrisie morale des gouvernants. Ceux-ci ne savent pas se protéger contre leur mauvaise conscience autrement qu’en se donnant comme exécuteurs d’ordres émanant d’autorités plus anciennes ou plus hautes (celles des ancêtres, de la Constitution, du droit, des lois ou même de Dieu), ou bien ils se réclament eux-mêmes des opinions et des maximes du troupeau : par exemple, comme « premiers serviteurs du peuple », ou comme « instruments du bien public ». D’autre part, l’homme de troupeau se donne