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NOUS AUTRES SAVANTS

volonté. L’indépendance des résolutions, le plaisir hardi du vouloir leur sont désormais inconnus, — ils doutent du « libre arbitre », même dans leurs rêves. Notre Europe contemporaine, ce foyer d’un effort soudain et irréfléchi, pour mélanger radicalement les rangs et, par conséquent, les races, est, par cela même, sceptique du haut en bas de l’échelle, tantôt animée de ce scepticisme mobile qui, impatient et lascif, saute d’une branche à l’autre, tantôt troublé et comme obscurci par un nuage de questions — et parfois las de sa volonté à en mourir ! Paralysie de la volonté, où ne rencontre-t-on pas aujourd’hui cette infirmité ! Et parfois on la trouve même vêtue avec une certaine élégance, avec des dehors séducteurs ! Pour cacher cette maladie on a des habits d’apparat, des parures menteuses ; par exemple ce qu’on étale aujourd’hui sous le nom d’« objectivité », d’« esprit scientifique », d’« art pour l’art », de « connaissance pure, indépendante de la volonté », tout cela n’est que du scepticisme fardé, la paralysie de la volonté qui se déguise. Je me porte garant du diagnostic de cette maladie européenne. — La maladie de la volonté s’est propagée à travers l’Europe d’une façon inégale ; elle sévit avec le plus de force et sous les aspects les plus variés partout où la civilisation est depuis le plus longtemps acclimatée ; elle tend à disparaître dans la mesure où le « barbare » réussit à maintenir — ou à revendiquer — ses droits sous les vêtements