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QU’EST-CE QUI EST NOBLE ?

ses privilèges avec un sublime dégoût et s’offre elle-même en sacrifice devant le débordement de son sentiment moral, c’est bien là de la corruption. En réalité, il ne faut y voir que l’acte final de ces siècles de corruption persistante, par quoi cette aristocratie avait abdiqué pas à pas ses droits seigneuriaux, pour s’abaisser à n’être plus qu’une fonction de la royauté (pour finir par être enfin la parure de la royauté et son vêtement d’apparat). Ce qui distingue au contraire une bonne et saine aristocratie, c’est qu’elle n’a pas le sentiment d’être une fonction (soit de la royauté, soit de la communauté), mais comme le sens et la plus haute justification de la société, c’est qu’elle accepte, en conséquence, d’un cœur léger, le sacrifice d’une foule d’homme qui, à cause d’elle, doivent être réduits et amoindris à l’état d’homme incomplets, d’esclaves et d’instruments. Cette aristocratie aura une foi fondamentale : à savoir que la société ne doit pas exister pour la société, mais seulement comme une substruction et un échafaudage, grâce à quoi des êtres d’élite pourront s’élever jusqu’à une tâche plus noble et parvenir, en général, à une existence supérieure. Elle sera alors comparable à cette plante grimpante de Java — on l’appelle sipo matador — qui, avide de soleil, enserre de ses multiples lianes le tronc d’un chêne, tant qu’enfin elle s’élève bien au-dessus de lui, mais appuyé sur ses branches, développant sa couronne