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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

qu’ils n’ont pas eux-mêmes — et qu’ils ne « méritent » donc pas — tout en finissant pas croire à cette opinion. Cela lui semble d’une part de si mauvais goût, si irrévérencieux à l’égard de lui-même, d’autre part si baroque et si fou, qu’il regarderait volontiers la vanité comme une chose exceptionnelle et qu’il la met en doute dans la plupart des cas où on lui en parle. Il dira par exemple : « Je puis me tromper sur ma valeur et demander pourtant, d’autre part, que ma valeur soit reconnue par les autres, précisément dans la même mesure où je l’estime — mais ce n’est pas là de la vanité (c’est plutôt de la présomption ou, dans la plupart des cas, ce qui est appelé « humilité » et aussi « modestie »). » — Ou bien il dira encore : « Je puis, pour diverses raisons, me réjouir de la bonne opinion des autres, peut-être parce que je les honore et les aime, et je me réjouis de toutes leurs joies, peut-être aussi parce que leur opinion souligne et renforce en moi la foi en ma propre bonne opinion, peut-être parce que la bonne opinion d’autrui, même dans les cas où je ne la partage pas, m’est pourtant utile ou me promet de l’être — mais tout cela n’est pas de la vanité ». L’homme noble doit avant tout se forcer à croire, surtout à l’aide de l’histoire, que depuis des temps immémoriaux, dans toutes les couches populaires dépendantes, l’homme du commun n'était que ce qu’il passait pour être. Comme celui-ci n’était pas habitué à créer des