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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

hommes du Nord, cette langue où, à chaque instant, un rien de tension religieuse trouble l’équilibre d’une âme subtilement religieuse et d’un sybaritisme si délicat ! Répétez avec lui ces belles phrases, quel écho de méchanceté et d’insolence elles éveilleront dans notre âme certainement moins belle et plus dure, dans notre âme allemande ! — « Disons donc hardiment que la religion est un produit de l’homme normal, que l’homme est le plus dans le vrai quand il est le plus religieux et le plus assuré d’une destinée infinie… C’est quand il est bon qu’il veut que la vertu corresponde à un ordre éternel, c’est quand il contemple les choses d’une manière désintéressée qu’il trouve la mort révoltante et absurde. Comment ne pas supposer que c’est dans ces moments-là que l’homme voit le mieux ? » — Ces phrases sont si contraires aux habitudes de ma pensée, il me semble tellement les entendre prononcer aux antipodes de moi-même que, la première fois qu’elles me tombèrent sous les yeux, mon premier mouvement de colère me fit écrire en marge : « la niaiserie religieuse par excellence ! » — Mais enfin, mon dernier mouvement de colère finit par me faire aimer ces phrases, avec leur vérité placée sur la tête ! Il est si exquis et d’une telle distinction d’avoir ses antipodes !